Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08.05.2011

Je ne sais toujours pas « comment devient-on Ben Laden ? »

 La question du terrorisme est souvent mal envisagée. Je souscris à l'affirmation selon laquelle  « l’ennemi » des démocraties modernes ne peut pas être « le terrorisme ». Le terrorisme est d’abord un moyen d’action. L’ennemi n’est pas correctement identifié si il est nommé « le terrorisme ». Connaître son ennemi est déjà un bon moyen d’avoir moins peur. Surtout, il permet de beaucoup mieux cerner l’enjeu du conflit.

C’est sur cet enjeu du conflit qu’on n’a pas assez réfléchi depuis les débuts du plan Vigipirate en France, depuis l’automne 1995. Et cela ne s’est pas amélioré après le 11 septembre 2001.

Que veulent ces personnes qui utilisent le terrorisme ?

On a tendance à répondre « ils sont fous, il ne faut pas chercher à comprendre ». Cette réponse n’améliore en rien la compréhension de la situation, ni en rien non plus la possibilité de se protéger de leur part de folie, aussi grande soit-elle !

Ils ne sont pas nés terroristes. Comment le sont-ils devenus ? On le sait à peu près. Ils ont été fanatisés par des personnes qui combattent au nom d’une représentation du monde dans laquelle ils utilisent une vision profondément faussée de l’Islam.

Ce n’est donc pas sur la religion qu’il faut s’attarder. C’est sur ce qui est suffisamment fort dans l’esprit de ces gens pour tordre à ce point la réalité au point que leur réalité à eux leur paraît comme la seule valable. Quel poison peut être aussi puissant ? La réponse à cette question n’est pas le fanatisme, puisque justement il s’agit de se demander comment le fanatisme terroriste peut naître et se développer.

C'est bien sûr dans les terreaux suivants : la haine, la rancoeur, l'humilitation à des niveaux très profonds... Le désespoir, la désespérance.

Rappelons qu’il n’est pas acceptable de faire des terroristes des victimes ayant la légitimité de se venger à un point aussi destructeur et effrayant.

Voilà des humains qui sont nés bébés, comme vous et moi. Que s’est-il passé ???

J’ai eu la possibilité d’entendre la conférence d’une rescapée d’Auschwitz, juive. Je n’ai pas de mot autre que celui d’émotion pour dire ce que cela a représenté pour moi. Et pourtant mon intellect est resté en éveil. J’ai ainsi pu lui poser la question : « Est-ce que vous vous êtes déjà demandés comment cela avait-il pu se faire que tous ces gens aient basculé dans le mal ? » Je voulais savoir si les victimes se demandaient ce qu’il avait pris à leurs bourreaux de faire tout ça. Elle m’a répondu simplement « non ». J’ai compris que guérir de la douleur, ou au moins, se rapprocher d’un mieux-être, d’une résilience même partielle, leur prenait quasiment toute leur énergie vitale, mobilisait leurs émotions et leurs capacités de réflexion. Survivre était à ce prix, même plus de 60 ans après, car l’horreur des camps d’extermination avait cette profondeur de mal, et j’ose dire de malédiction.

Ce n’est pas nouveau de savoir que la Shoah fut un des pires maux de l’histoire de l’humanité, peut-être le pire, pas nouveau de savoir ce qui a été vécu dans ces camps, et au nom de quoi cela a été fait.

Mais de se rendre compte aujourd’hui que ce mal est puissant et tenace, cela est venu me chercher dans une autre émotion, terrible mais nécessaire, que celle qui résulte de l’effort plus habituel de mémoire et de compréhension du passé.

Ce mal est tellement puissant que 65 ans plus tard, il s’agit toujours pour des humains d’y résister et toujours pas de le déconstruire.

Parce que l’on n’a pas compris cela, on n’a pas compris les Américains dans leur drame du 11 septembre.

Nous, en bons Français sûrs de la légitimité de notre position de surplomb, nous avons jugé les Américains rapidement en exprimant des choses telles que : « ils font tant de mal aux autres et ils ne voulaient pas s’en rendre compte. Ils vont enfin y réfléchir ». Sacré manque d’intelligence du cœur.

On avait notre cœur d’un côté, qui servait à plaindre les victimes, leurs familles…

On avait notre intelligence de l’autre côté disant « qu’ils arrêtent de jouer les gendarmes du monde en se croyant supérieurs partout et sans doute qu’ils n’auront plus ces ennemis ! »

Certes, cela nous a aidé à chercher à comprendre, sans doute davantage que le peuple américain, qui sont ces djihadistes terroristes. D’autant plus que notre histoire de pays colonisateur et notre actualité de terre d’immigration arabo-musulmane nous mettent dans un contact plus direct avec ces problématiques de développement des réseaux djihadistes.

Mais nous n’en avons pas de mérite. Tout comme je n’en ai eu aucun à me poser la question de l’origine du mal nazi si je me compare aux rescapés des camps qui ont eu « d’autres soucis » (veuillez excuser cet euphémisme).

« Et si j’étais né en 17 à Leidenstadt ? » a chanté Jean-Jacques Goldman pour oser se poser la question de cette origine du mal. Lui est né en 1951. Cela semble confirmer mon analyse de la distance au mal nécessaire pour pouvoir l’envisager dans sa naissance et sa formation. Analyse qui reste à vérifier…

Je suis opposé à cette vision de la vie où tout le monde en serait à peu près au même point face au mal et où ce serait à chacun de résister aux tentations de basculer dans le mal. Si on ne résiste pas, on est alors un méchant, un salaud, un facho, un raciste, etc… Non, combattre le mal ne se résume pas à combattre les mauvais. Sinon, cela voudrait dire que combattre le terrorisme consiste à combattre les terroristes et que combattre la folie consiste à combattre les fous.

Sans leur donner aucun droit à aucune vengeance, et en ne leur accordant quasiment que le seul droit -une fois leurs actes de terreur commis, préparés ou même seulement envisagés- de se voir infliger les peines de justice les plus sévères, je dis qu’il est temps de se poser les questions suivantes :

Quelles représentations du monde veulent-ils partager ?

De quoi se sentent-ils victimes ?

Peuvent-ils exprimer des désirs de soulagement de leurs douleurs ?

 

Et aussi :

Certains d’entre eux espèrent-ils sortir de cette violence ?

Quelles visions ont-ils de cette violence ?

Quel serait pour eux un monde idéal ?

 

Enfin :

Dans quelles conditions accepteraient-ils de commencer des projets de coopération avec leurs actuels ennemis ?

 

Tout ce que je peux dire, en ce qui concerne mes réponses à ces vastes problèmes, c’est que je m’engage dans cette direction :

Choisir la paix, chaque jour.

Pas une forme de tranquillité individuelle, mais une paix dynamique, communicative, comme l'est la joie par exemple, et qui s'appuie, sans alternative possible, sur la justice.

 

Commentaires

"sans alternative possible, sur la justice." Ben comme c'est très beau, je ne peux que plussoyer.

La justice n'est peut-être pas de ce monde ("On choisit pas non plus les trottoirs de Manille / De Paris ou d'Alger / Pour apprendre à marcher"), mais elle est le seul projet politique qui tienne amha. Que soit rendue justice à chaque être humain, l'humanité de chacun.

Écrit par : FrédéricLN | 08.05.2011

Merci Frédéric. Rien à ajouter à ce que tu ajoutes, bien sûr. ;-)

Écrit par : GuillaumeD | 08.05.2011

ah bah alors yapuka ;-)

Écrit par : FrédéricLN | 16.05.2011

il ne suffit pas d'être bon et de le transmettre, de s'indigner et de résister face au mal, il faut aussi éduquer les enfants et leur permettre de grandir humainement pour que le loup social qui est en lui soit nourri positivement et que le loup destructeur qui est en lui ne soit pas nourri. C'est les souffrances accumulées plus le manque d'espoir décuplé par le manque d'amour reçu qui fabrique la "bête à détruire"

Écrit par : Ghiloni Annie | 12.09.2011

Comme c'est bien dit, Annie.

Écrit par : GuillaumeD | 14.09.2011

Les commentaires sont fermés.