11.01.2015
"conscience"
Je ne veux pas dans cette note définir le mot "conscience". Je ne suis pas linguiste, je ne suis pas professeur de français, ni de philosophie. Je veux expliquer pourquoi au moment-même où se poursuit, où se finit, la marche "Je suis Charlie" à Paris et ailleurs, je n'y suis pas.
Je pourrais trop parler de moi, de ma vie, de mes engagements, notamment de mes cours d'éducation civique depuis plus de 11 ans dans des collèges et des lycées pour transmettre des valeurs, celles de la démocratie, celles de la République.
Mais le plus important pour moi est de m'appuyer sur autre chose. J'étais sur les Champs-Élysées le soir du 12 juillet 1998. C'est un moment qui m'a marqué à plus d'un titre. J'y étais avec des amis de ma ville de Clamart (au sud-ouest de Paris, dans le 92), j'ai cru en l'unité de notre pays à ce moment-là, à des lendemains meilleurs, sans racisme.
Après le 21 avril 2002, il m'était évident d'aller manifester pour m'opposer aux idées du Front National... ainsi, le 1er mai 2002, j'ai marché dans les rues de Paris dans ce but. J'avais même été à l'origine de l'organisation d'un petit rassemblement devant la mairie de Clamart pour nous rassembler et défiler dans notre ville, exprimer au mégaphone nos idées, avant même d'être avec un million de personnes dans Paris. Je portais de temps en temps la bannière "Fraternité". Je regrette d'avoir cédé, à deux jeunes filles, le mégaphone pour les laisser crier: "et F comme fasciste, et N comme nazi ! A bas, à bas le Front National!" Et surtout d'avoir repris à leur suite ce slogan, car dans ma tête, j'avais décidé de ne jamais exprimer d'insulte. C'était certes pas bien grave, mais je n'ai pas su résister à l'effet d'entrainement sur le moment et je me souviens de voir sur le visage l'incompréhension et la déception de quelques personnes à qui j'avais promis de ne pas laisser exprimer d'insulte (c'était moi qui portais le plus souvent le mégaphone). Ce fut la seule fois et pendant des heures, nos slogans, nos marches avaient porté la démocratie et la République par de la joie et de la fraternité.
J'avais été fier de la France, des Français, puis très fier des 82% obtenus par Jacques Chirac (comment va-t-il, d'ailleurs?). Je croyais naïvement que la République était soutenue par 82 % des citoyens et que les autres étaient trompés, qu'ils s'en rendraient plus ou moins vite compte... simplisme, quand tu nous tiens...
Puis j'ai réfléchi autrement, notamment avec un article du journal "La Croix" disant en substance que parmi les votants pour JM Le Pen, il y avait ceux qui subissaient de profondes exclusions (depuis longtemps privés d'emploi mais pas seulement cela), des gens qu'on n'écoutait jamais, qui pouvaient connaître des humiliations qu'on n'a jamais comprises, jamais perçues... "et qu'on avait traités de fachos par-dessus le marché" (cette citation de l'article est de mémoire, mais très fidèle, croyez-moi. ;-) )
Je comprenais donc que la "fracture sociale" était plus profonde que ce que je pensais... je comprenais que la sincérité de Chirac en 1995 pour la réduire n'était pas le problème. Je comprenais peu à peu que l'essentiel échappait au champ du politique. Le politique est une émanation du social. Mais si la société connaît une fracture, plusieurs fractures, le médecin, le chirurgien ne sont pas la politique. Au mieux (au pire?), la politique est l'anesthésiant.
Notre égoïsme est sans doute un anesthésiant encore plus redoutable. Egoïstes parce que nous sommes trop loin de ces réalités si dures vécues par les personnes les plus pauvres, nous autres, dans notre confort de vie des classes moyennes, et parce que nous ne voulons pas voir la misère humaine... sauf par écrans, interposés en trompe-l’œil, dont nous sommes quand même conscients quelque part qu'ils nous trompent... mais nous l'acceptons. On se laisse fasciner par une violence meurtrière pendant qu'une violence plus sourde, plus profonde, atteint ceux qui ne revendiquent pas la liberté d'expression. Peut-être car quand c'est leur tour de parler, ils sentent le mépris, parfois ils entendent la moquerie... parce que voilà, leur parcours de vie ne les a pas amenés à maîtriser la langue de Molière comme elle est maîtrisée dans les poulaillers d'acajou chantés par Souchon par exemple.
Aujourd'hui, je préfère privilégier ma conscience, mes prises de conscience, pour défendre la liberté de conscience, garante universelle de la liberté d'expression. Tout en admirant ces beaux rassemblements qui sont en train de se fondre dans la nuit tombante. Vive la France! Vive la liberté! Vive la liberté pour tous dans notre peuple! Vive la liberté de tous les peuples!
Aujourd'hui je regrette de n'avoir pas su, depuis des années que je suis adulte et responsable, écouter les exclus de notre société, de n'avoir pas su transmettre leurs mots, ceux que j'ai entendus et compris, lorsque c'était mon tour de parler. En tant que prof d'histoire-géographie et éducation civique, c'est souvent mon tour de parler. Pourquoi je ne me suis pas vraiment révolté plus tôt au côté des "oubliés de l'Histoire", des exclus de notre société?
Or, ce sont eux qui, en ayant bien raison de ne pas faire confiance aux représentants des classes moyennes qui ne les représentent quasiment jamais, sont potentiellement attirés par des révoltes individuelles et sociales ayant recours à la violence. Non qu'ils seraient idiots, ai-je besoin de le préciser, mais parce que la violence fait déjà partie de leur vie, et que quand ils ont appelé à l'aide pour avoir une vie bonne et digne, ils n'ont pas été entendus. Explication n'est pas excuse. Je ne cherche rien à excuser, je réfléchis en conscience. Et même mon explication est encore insuffisante, je le sais bien.
Alors en conscience, je pense que nous devons refuser que la violence fasse de plus en plus partie de la vie des exclus de notre société, sinon nous sommes hypocrites en appelant à l'unité nationale aujourd'hui.
Concrètement, nous avons à refuser la violence, à refuser la peur... qui sont les deux plus profondes prisons de la conscience. Peut-être vous ne trouvez pas cela concret? Eh bien permettez-moi, pour une fois, de dire ce que nous devons faire :
Vidons notre esprit des cinémas extérieurs, puis intérieurs, qui occupent nos jours. Faisons silence. Faisons silence profondément en soi. Touchons notre conscience. Augmentons la prise de conscience de notre être, de nos émotions, de nos sentiments.
Permettez-moi aussi maintenant de vous dire ce que j'ai dit à mes élèves à la rentrée scolaire de septembre dernier : " vous êtes unique dans l'histoire de l'humanité. Il n'y a jamais eu quelqu'un comme vous auparavant, il n'y aura jamais plus quelqu'un comme vous après. "
Sentez-vous la petite confiance qui est en vous maintenant...? Comparons-la à une petite flamme de bougie que l'on protège avec le creux de la paume de la main. Protégeons cette confiance de la peur qui nous assaille. Je ne nie pas la violence, je ne nie pas la peur. Elles existent dans toutes les vies humaines. Mais notre conscience et notre confiance sont de trop belles lumières et de trop puissantes chaleurs pour laisser gagner les violences et les peurs.
Construisons des ponts de confiance entre nos consciences d'être, avec humilité.
Un jour, des forces rejoindront nos confiances et nos consciences. Ce sera alors le temps du pardon.
18:05 Publié dans politique | Lien permanent | Commentaires (3)