08.07.2010
Réflexions sur l'éducation, la paix sociale...
Après avoir une fois de plus corrigé le Brevet des Collèges en histoire-géographie-éducation civique, et avoir une fois de plus constaté (et subi) de nombreuses failles dans le langage écrit de banlieusards de 15/16 ans, j'ai pu mettre des mots sur une inquiétude qui s'installe en moi depuis longtemps.
Ce qui m'inquiète, c'est le manque de maîtrise de communication -surtout écrite, mais orale aussi, tant le vocabulaire est pauvre- qui atteint surtout les banlieues difficiles. Cela crée des écarts entre les jeunesses qui sont des véritables fossés culturels. Je crains que les Français se reconnaissent de moins en moins de fondements culturels communs. Je pense ici à tous les niveaux de la culture : linguistique (langues et/ou langages), culture des loisirs, culture artistique, moeurs de la vie quotidienne...
La mondialisation culturelle a du bon, mais dilue les identités nationales. Elle est positive contre le nationalisme, mais cette dilution peut atteindre la paix sociale, car au niveau de l'individu, son voisin n'est alors plus un proche, mais un étranger. Se tourner vers l'étranger... Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut le faire un minimum (même le FN!), mais quand on rentre du boulot épuisé, ou quand on est déprimé parce qu'on a pas de boulot depuis longtemps, on en arrive souvent à ne plus avoir l'énergie pour faire l'effort de comprendre l'autre dans le contexte de son propre vécu.
Cette altérité devient profonde.
Est-il possible de faire une force de cette nouvelle singularité qui émerge? Après tout, quand nous disons que nous voulons la liberté, ne sous-entendons-nous pas que chacun devrait s'épanouir en cultivant sa propre personnalité, en ayant moins à subir les contraintes du groupe social au sein duquel il vit?
Comment chaque groupe social peut-il accepter la coexistence avec les autres groupes autour de lui? Comment peut-il permettre, à chaque personne qui le compose, un minimum d'indépendance pour se développer sans les trop fortes contraintes des règles de vie implicites et explicites de ce groupe?
En répondant à ces questions, on peut trouver comment s'opposer à des dérives sectaires (problème de la paix sociale notamment en banlieue), mais aussi on peut trouver comment conceptualiser le développement durable comme une chance et non comme une contrainte, car le cadre de notre vie devient un moyen de se réaliser, et non un carcan qu'on ne pourrait briser qu'en consommant davantage (sous-entendu: en consommant plus que les autres...)
16:00 | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Ce sont trois belles questions, à la fin. Justement, ça rejoint la problématique traitées par Art Goldhammer dans sa conférence "De la démocratie en américain" : comment un régime politique stable et constructif, démocratique, peut-il naître de la différence des personnes et de leurs intérêts ... là où Tocqueville ne voyait qu'un "plus grand nombre" nivelé par "l'égalité des conditions" ?
Écrit par : FrédéricLN | 14.07.2010
J'ai été heureuse de lire ton article parce qu'il me paraît vraiment poser le problème de l'altérité sous un jour nouveau et intéressant. En effet, notre boulot de prof, c'est de normaliser: ça peut-être bon (mondialisation culturelle positive, intégration, réussite sociale) et mauvais (perte d'identité, compétition, violence). Normaliser, ça veut dire faire tendre les élèves à la norme sociale qui leur permettra de réussir dans la vie. Or, bien souvent cette norme produit aussi de l'exclusion...
Ceci dit, au passage, il ne faut pas transiger sur la nécessité de renforcer l'apprentissage de la langue. On peut avoir l'impression que tu adoptes un point de vue résigné dans la première partie de ton propos. Posséder les mots pour dire qui on est et pour entrer en relation me semble la base de ce qu'on doit garantir aux jeunes qu'on éduque. Or, il y a eu repli grave des exigences en ce domaine!
Mais les différences dans la maîtrise de la langue sont aussi des conséquences d'autres écarts culturels bien plus liés à la communauté d'origine, au lieu de vie et au milieu social.
Ton questionnement est bien posé dans ce cas car effectivement nous allons devoir réviser notre volonté normative car il faut rendre aux gens le sentiment d'appartenance pour enrayer la violence. Ce qui rend violent, c'est la comparaison, c'est aussi le fait de n'être pas reconnu ou nié dans sa différence. Or l'école a peut-être eu trop tendance à gommer les différences culturelles sous prétexte (mais ça s'est justifié) de sociabilisation et de construction d'une unité nationale.
Comment aborder le mouvement inverse en acceptant de gérer les conflits, pour éviter les conflits? Cette question est une chance pour rendre du sens au vivre ensemble mais surtout à la construction de l'élève comme une personne située et non pas seulement comme un cerveau à remplir. Qui suis-je? Quelle est mon histoire? Quelle est la richesse de mon histoire familiale, individuelle, communautaire, nationale?
Et dans la confrontation naît la possibilité d'une nouvelle re-connaissance de soi: l'altérité pourrait être la chance d'une nouvelle façon de faire communauté.
Alors co-exister est rendu à son sens propre: non pas vivre les uns à côté des autres, mais les uns avec les autres.
Pour se libérer de la loi du groupe, se confronter à la différence en renonçant à se comparer.
Au club solidarité, il y a quatre ou cinq ans, on a fait intervenir des élèves et des profs sur le ramadan pour qu'ils nous expliquent ce qu'ils y vivaient (euh, révolutionnaire dans le public !!): c'était très modeste mais chouette et fructueux, pas seulement pour l'échange, mais pour la reconnaissance... On a aussi fait parler les élèves étrangers, nés à l'étranger ou ayant vécu à l'étranger pour comprendre leur parcours. Les enfants s’apprennent ça aussi et je crois qu'ils ne l'oublient pas. Encore faut-il leur permettre de se l’apprendre…
Il faut ces temps-là pour mieux apprendre ensuite la langue française et le prix de l'étudier tous ensemble parce qu'on a des choses à s'échanger...
Donner du sens par la reconnaissance de la personne plutôt que par la pédagogie du projet et l'acquisition de compétences!!!
Dessouder l'école des impératifs bruts d'efficacité, de productivité, de compétitivité: se donner le temps gratuit de vivre ensemble pour pouvoir mieux s'apprendre et apprendre. Faire resurgir les différences de l'enclos cadenassé où on les a maintenues peureusement enfermées, leur donner la possibilité de co-exister en traitant les conflits sans les nier et garantir ainsi la paix sociale...
Ce devrait être un chantier prioritaire de rendre communément les élèves à leurs cultures et à leurs racines plutôt que de s'acharner à élaborer cette connerie de socle qui n'a de commun que le nom, non ?...
Écrit par : Mapie | 28.08.2010
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